Un état du monde
« Mappemonde » est une œuvre en perpétuel recommencement. Sans cesse, son sens et sa forme sont relancés, en fonction des lieux qui l’accueillent. En reproduisant une carte, Jean Denant éventre une paroi vierge pour venir y inscrire, à coups de marteau, les contours du monde. Une cartographie se forme, à mesure que l’artiste lui donne corps par le geste. Sous nos yeux, se reconstruit le monde, s’installent les frontières. Présentée dans le cadre du Musée de l’homme, « Mappemonde » rentre en résonance avec le lieu qui l’accueille. C’est là la force de cette œuvre qui, venant s’incruster dans les murs des espaces d’exposition, se fond avec le cadre et revient à l’origine de la construction (du monde, mais aussi du bâtiment). Architecture et histoire fusionnent. Réalisée in situ, la pièce « Mappemonde » peut être inlassablement réactivée, ne faisant plus qu’un avec le lieu, avec son histoire. Ainsi, ce geste fort pratiqué dans un musée en cours de rénovation est un rappel de la poétique du chantier, motif récurrent dans le travail de Jean Denant. L’action de l’artiste mue le chantier en installation, invitant à réinvestir le site, à poétiser le quotidien du monde du bâtiment. Par ce travail physique, l’artiste « martèle », au sens propre comme au sens figuré, la présence de l’homme. Les coups portés dans le mur rappellent à la fois le travail de la matière et le labeur humain : matière première et geste primaire sont enfin réunis. Cette inscription dans les murs est aussi une trace profonde, inscrite dans la pierre, du passage de l’ « homo erectus »… La mappemonde ou l’art rupestre revisité par l’homme urbain et contemporain.
Œuvre éphémère, cette fresque s’inscrit pourtant durablement dans le bâti qui, toujours, portera, dans les entrailles de la matière, cette terre revisitée, réinventée. Ainsi, le musée de l’homme, qui abrite l’histoire de l’humanité, porte en lui toutes les temporalités : l’avenir du geste ouvrier qui viendra modifier le bâti, mais aussi la trace d’une intervention humaine, réveillant, par l’excavation, les stigmates du passé. La mappemonde, une fois recouverte, viendra se fondre, se perdre dans la nouvelle architecture. Invisible et cachée, cette carte demeurera une strate inscrite dans les sédiments, veillant silencieusement sur une nouvelle histoire en train de se construire. Des débris jonchent le sol. Disparates, ils viennent se confondre avec le chantier en soi : alliance de l’organique et du minéral, ces « résidus », sont les témoins de la trace du corps et de son action sur le bâti. Par les gravats, le réel rencontre la projection mimétique et cartographiée du monde. Gravés sur le mur, les territoires s’écrivent, se fixent, à l’instar de ces blocs de pierre sur lesquels ont été transmis et écrits les premiers mots de l’humanité.
« Mappemonde » redessine les espaces. Intériorisation du monde, cette pièce porte en elle l’ensemble des motifs présents dans le travail de Jean Denant. Elle met en scène le geste et affirme ainsi la présence humaine, dans une architecture incertaine, entre construction et abandon, entre avenir et temps suspendu.
Solène Bertrand
2009
Mains d’Oeuvres, Paris, Fr
Exposition collective
Opération Tonnerre