GÉOGRAPHIE
CHANTIER INCONSCIENT : UNE TRAVERSÉE

2016: le travail de Jean Denant est aimanté par certains penchants de la modernité, notamment ceux de la destruction et de la construction. Cela pousse l’artiste à explorer l’étroite relation de l’art à l’architecture, mais il n’y a là rien d’un formalisme: «J’ai toujours envisagé la réalité de mon propre corps à travers l’architecture.» dit-il. Les constructions qu’il expose, surtout les installations et la sculpture, se présentent en même temps que les gestes dont elles procèdent, ceux du travail qu’il emprunte à l’ouvrier. Elles incluent les déchets et les saletés qu’elles produisent, elles interviennent dans la matière en l’enlevant, font signe vers les corps qui en habitent la temporalité, affichent l’usure qui les ronge.

Le temporaire, l’extraction, se côtoient au plus près. Ainsi, du portrait d’un Caterpillar, couleurs brunes, grises, soustrait à tout contexte, sauf d’un trou qu’il est en train de creuser, et qui l’accompagne dans sa transposition

sur un fond blanc. La peinture montre rarement de tels objets, sauf la peinture réaliste socialiste. Libéré de son assignation au labeur, de sa pesanteur, il flotte dans l’espace vide du tableau, oriente son existence picturale instable

en dégoulinant un dripping ajouré. Le trou qu’il creuse pourrait bien être celui par lequel tout va disparaître, tant la représentation que le tableau. Entretemps, pour le spectateur, le Caterpillar est devenu un objet aimable, cousin lointain des tanks et autres machines de guerre peintes par Gérard Gasiorowski.

Le cheminement à travers l’œuvre proposé ici ne
respecte pas une chronologie, ni ne se prétend exhaustif. Bien plutôt, il traverse les expositions, s’attarde sur certaines récurrences, la carte, les matériaux et les chantiers postmodernes, le geste laborieux, ou encore la cristallisation, la mise en exergue de temporalités précaires.

DU TEMPS À L’OUVRAGE

En juin 2014, le centre d’art du Lieu-Commun à Toulouse présente une exposition de Denant, «Du temps à l’ouvrage». À l’étage supérieur, une installation intitulée Cartographie des processus. En l’occurrence, c’est du processus analytique qu’il s’agit. Tout l’espace, fort étendu, est vide. Le domine l’armature métallique du plafond, les longs néons qui y sont accrochés. Aux murs, la première couche en Placoplatre a été entamée. L’artiste y a découpé des figures géométriques, des cercles, de grands et petits rectangles, des orifices tubulaires. Les morceaux ainsi extraits servent à construire trois meubles à échelle 1. Un fauteuil LC2 Le Corbusier, Jeanneret, Perriand, une chaise Wassily Marcel Breuer, une méridienne Mies van der Rohe. À la tête de celui-ci, une traversière faite de ronds de Placoplatre. La cloison ainsi découpée évoque tout à la fois une décoration moderniste et la maquette en kit d’un objet en série à construire. La disposition de la chaise à la tête du divan, d’un fauteuil tout près, configure les deux positions de la situation analytique: les entretiens préliminaires en face à face, l’analysant allongé, censé dire ce qui lui vient à l’esprit, et l’analyste assis là où il ne peut y avoir d’échange de regards, écoutant.

Quel rapport, de la psychanalyse avec l’ameublement? Freud était un homme du xixe siècle, vivant dans un intérieur bourgeois, au sens emphatique de ce terme. Un intérieur est une manière d’aménager son appartement avec des traces de soi-même, de l’occuper de son confort, de le cloisonner d’avec le monde environnant. Si bien que toute personne entrant dans un tel appartement, aussi confortable soit-il, se dit immédiatement: tu n’as